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vendredi 21 octobre 2011

Spunkie

Vous l'attendiez tous, le voilà, le voici, l'extrait sur Spunkie.



Tu es bien dans ta planque. Pour une fois, tu es au sec tandis que la pluie continue de se déverser sur Paradise city. Tu es trempée, mais peut-être un peu de courage t’a-t-il gagné depuis que tu as trouvé cette baraque dans la Vieille ville. A vrai dire, même le fait d’être encore en vie devrait t’être suffisant. Tous le monde n’a pas cette chance.
Le problème avec toi, c’est que tu es trop lucide. Quand tu as rencontré les gars de la Forêt, à l’est, tu as faillis y passer. Personne ne voulait croire que Paradise city ne se limitait pas qu’à leur putain de bois. Heureusement que tu es bien gaulée, après t’être passée dessus, ces mecs se foutaient de savoir d’où tu venais. Sois bonne et tais-toi. Tu as couru comme une dératée pour sortir de ce merdier, tu ne voulais surtout pas tomber sur Gorilla, et tu y es parvenue. Tu n’es pas à Paradise city depuis longtemps, pourtant tu t’y sens… comme chez toi. Même si te faire sauter par une bande de toxicos n’es peut-être pas ta plus belle expérience, avouons-le.
L’autre problème, avec toi, c’est que tu n’as pas choisis de sortir d’ici comme les autres. Tu te doutes que si nombreux, si vous n’arrivez pas à vous casser, c’est qu’il y a une raison. Alors toi, tu préfères te débattre et survire comme tu le peux. Buter tous ces autres tarés n’est sans doute pas la pire des solution, de toute façon, tu n’en fais pas grand cas de conscience. D’ailleurs, si tu es là, ce n’est pas de ta faute. Donc tu te débrouilles juste avec ce que tu as.
Tu passes une main fatiguée dans tes cheveux rouges qui tombent mollement autour de ton visage. Ils sont dégueulasses, gras, des feuilles et de la terre s’y mêlent. Peut-être un peu de vomi aussi. Tu es venue vers la Vieille ville dans l’espoir de trouver un coin tranquille. Tu sais qu’ici, il y a des mecs qui savent se débrouiller pour te trouver du jus et de l’eau potable. Mais tu hésites, tu sais que tu ne dois pas t’allier à n’importe qui, ça serait du suicide. Et puis tu sais, ou du moins tu espères que tu peux te démerder encore un moment avec ce flingue, ce briquet, ce canif et cette couverture qu’il y a dans ton sac. Sans oublier les deux toncar magiques qu’il reste dans la poche intérieure.
Tu crèves de froid, même si c’est quand même plus supportable que dans cette putain de forêt. Le jour se lève sur Paradise city, une lumière sale irradie les ruines, se faufile entre les immeubles aux regards caves, se glisse jusqu’à toi. Tu te recroquevilles. Le dernier problème avec toi, c’est que tu n’aimes pas la lumière.
Tu appuies ton front contre tes genoux, tu passes tes bras autour de tes jambes. Peut-être que tu devrais dormir, personne ne te trouvera ici, tout en haut de ce vieil immeuble, dans cette ancienne chambre de bonne, minuscule et pleine d’objets étranges. Enfin, peut-être qu’avant, tu devrais faire un tour dans la pièce et dans celles d’à côté, quasiment identiques. Oui, ça serait une bonne idée.
Tu te lèves, tes articulations craquent comme celles d’un mort se relevant de sa tombe. Tu ne jettes pas un regard au travers du carreau brisé, tu devrais peut-être.
Tu commences à soulever les objets. Il y a un vieux matelas, c’est extrêmement précieux. Tu dormiras sans doute un peu mieux aujourd’hui, grâce à ça. Il est aussi dégueulasse que toi pourtant, mais c’est le cadet de tes soucis. Un cafard court sur le mur à côté de toi. Tu trouves plein d’autres choses, des tapis qui te seront sans doute bien inutiles, des morceaux de lit et de sommier, une boîte d’allumettes, des bocaux en verres, un poignard mal aiguisé, un tiroir plein de couverts en argent oxydés depuis bien longtemps, une narguilé vieille mais peut-être encore utilisable… Apparemment, tu n’es pas la première à avoir trouvé cette planque, il y a des choses qui semblent moins anciennes que d’autres ou qui détonnent.
Tu es crevée et tu n’as plus le courage de faire quoique ce soit. La bande de toxicos ne t’a pas laissée beaucoup dormir quand ils t’ont baisée. Mais tu n’es pas sûre que ce soit une bonne idée. Tu es tout en haut de l’immeuble, de là où tu es, tu devrais entendre les gens arriver, mais tu ne fais pas assez confiance à la lumière du jour pour t’endormir sur tes deux oreilles.
Tu commences par tirer le matelas. L’endroit est agréable, sombre comme tu les aimes. Tu es dans les combles, il n’y a qu’une petite lucarne brisée pour laisser passer cette putain de lumière. Et elle est tout juste assez grande pour te laisser te faufiler si quelqu’un se ramenait dans les environs. Tu décides de te barricader. Il y a un vieux verrou à la porte, tu le fermes, mais tu n’es pas rassurée. Tu pousses un vieux buffet qui se trouve au fond contre le porte, et tu y entasses deux trois objets.
Tu as bien envie de te jeter sur le matelas, mais tu te retiens. Tu as encore de petites choses à préparer, et tu sais que si tu t’accordais un instant de répit maintenant, tu t’endormirais tout de suite.
Tu pousse le matelas le plus loin de la lucarne. Au dehors, la pluie frappe les tuiles, le vent cingle le vieil immeuble, faisant siffler son cri entre les vitres brisées. Paradise city dégouline, presque comme si le béton coulait lui aussi, glissait, rampait, recouvrait le bitume et la brique.
Tu sors ton canif, et ton briquet. Dans un bocal en verre, tu mets des morceaux de bois ramassés ça et là, et tu essais de les faire brûler. L’air est tellement humide que c’est presque impossible. Tu maintiens la flamme le plus longtemps possible allumée dans le verre, tu souffles, quelques échardes rougeoient, noircissent. Tu éteins le briquet qui a laissé un tâche sombre sur le verre maintenant un peu chaud. Ici, à Paradise city, tu sais que tout fini par s’éteindre.
Tu poses ton flingue à côté de ton lit, le couteau affûté sous un sweat-shirt roulé en boule en guise d’oreiller, tu serres le bocal dans tes mains et tu t’allonges, te blottis sous la couverture. Le bruit de la pluie contre les tuiles te berce, mais il y a toujours cette putain de lumière. Elle t’agace, te dégoûte, te harcèle et te hante. Même dormir devient difficile. Tes yeux te brûlent. La fatigue te rattrape, et bientôt tu sombres dans une douce torpeur.
Des visages dans le ciel t’observent, formant une ronde psychédélique dans laquelle tu te mêles et perds pieds. En bas il y a un petit garçon au visage d’extraterrestre et deux bimbos que des photographes mitraillent. Il fait jour mais la lumière ne te fait pas mal cette fois. Tu cours dans la lueur d’une lune de juin qui irradie comme le soleil et qui te brûle le système nerveux. Mais c’est pas grave, te réponds l’enfant extraterrestre. Tu entres dans un supermarché désert où des gens marchent sur les mains. Les gars de la forêt te courent après et tu fuis et plonges dans l’objectif d’un des photographes.
Tu te réveilles en sueur dans la petite chambre de bonne, sur le matelas, le bocal froid entre les mains. La lumière crépusculaire se glisse dans la petite pièce. Tu as dormi longtemps. Tu attrapes ton flingue et te relèves. Une longue journée s’annonce pour toi, Spunkie.

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